Calcul et gestion des émissions de GES générées par les achats : un défi méthodologique

Les émissions de Gaz à Effet de Serre d’une entreprise (communément appelées « Impact Carbone ») sont en général réparties en 3 catégories appelés « Scopes » :

  • Les Scopes 1 et 2 correspondent aux émissions de GES issues des consommations d’énergie directes (essence, fuel, gaz, etc.) et indirectes (consommation d’électricité) de l’entreprise. Autrement dit, il s’agit des émissions créées directement sur site par la combustion d’énergies et des émissions créées indirectement par la production d’électricité.
  • Le Scope 3 correspond à tout le reste, notamment aux déplacements de personnes, à la gestion des déchets, ou encore à la chaîne d’approvisionnement et aux achats.

Ce Scope 3 représente à lui seul entre 50 et 90 % des émissions de GES d’une entreprise, et la part des achats et de la chaîne d’approvisionnement peut représenter jusqu’à 90% de ce dernier.  Il est donc évident que les achats ont un rôle clef à jouer dans la décarbonation de l’entreprise. Pour pouvoir être pleinement acteurs de ce défi, les acheteurs doivent avoir des moyens adéquats à leur disposition.

Il n’existe cependant pas de méthodologie achats « bas carbone » à ce jour

En effet, si l’on veut optimiser l’impact carbone des achats, il faut être capable de savoir quelles sont les catégories d’achats les plus émettrices et de pouvoir identifier les fournisseurs avec qui travailler en priorité. Or, les méthodologies actuelles, notamment celle du Bilan Carbone®, ne permettent pas vraiment d’effectuer ce travail. Celle-ci prend bien en compte les achats mais traduit des montants dépensés (en K€) en impact carbone. Ainsi, pour diminuer son impact carbone lié aux Achats via cette méthode, il faudrait acheter moins, ou acheter moins cher. Si acheter moins aurait un vrai impact, acheter moins cher n’aurait pas d’impact réel sur ce qui est acheté, et donc sur les émissions réellement produites. De la même façon, une hausse des prix engendrerait une hausse des émissions calculées, sans pour autant que l’entreprise ait augmenté ces émissions dans la réalité …

 Les résultats obtenus sont par conséquent généralement loin de la réalité de l’impact, avec, dans certains cas, jusqu’à 80% d’incertitude sur les résultats. Pour pallier cette limite, on pourrait croire qu’il suffit de demander aux fournisseurs de communiquer au service achats le résultat de leurs Bilans Carbone. Cela permettrait de comparer les fournisseurs entre eux et de pouvoir intégrer leurs résultats au bilan carbone de l’entreprise cliente. En réalité, cela soulève deux problèmes.

Le premier est que pour être valable, cette façon de faire implique que chaque fournisseur utilise la même méthodologie de comptabilité, avec les mêmes scopes, et les mêmes facteurs d’émission (unité de conversion permettant de traduire en émissions de GES). Or, lorsque l’on constate que seuls 16 % des dirigeants annoncent avoir réalisé un Bilan Carbone[1] et que l’intégration du Scope 3 n’est presque jamais obligatoire, on peut s’attendre à avoir des résultats assez peu cohérents entre fournisseurs. Il paraît alors difficile d’utiliser les données collectées de cette façon.

Le second tient en une question : que faire de la donnée collectée ? Nous avons remarqué que les acheteurs ont souvent du mal à comprendre les résultats de ces Bilans Carbone, et ne savent donc pas comment accompagner les fournisseurs sur cette base.

Le Bilan Carbone est en effet pensé pour être un outil d’aide à la décision, permettant d’identifier les principaux postes d’émissions de GES de l’activité d’une entreprise ou d’une collectivité et des actions à mettre en œuvre pour cette organisation, et non pas pour être utilisé en tant qu’outil de sélection ou de comparaison. Partant de ce constat, il est primordial que les acheteurs s’impliquent et pilotent la démarche à deux niveaux : au niveau des produits et des prestations achetés, et au niveau des fournisseurs contractés.

Aider les acheteurs et les prescripteurs à prendre les bonnes décisions pour diminuer réellement les émissions

Lors d’un appel d’offres, des spécifications d’éco-conception peuvent être intégrées dans les cahiers des charges, notamment des exigences en termes d’efficacité énergétique, ou d’utilisation de matériaux à plus faible impact dans les équipements. Il nous semble néanmoins primordial d’aller plus loin, en sélectionnant l’offre la moins émettrice de GES pour les marchés les plus impactant sur ce sujet.

Ici encore, demander les bilans de GES de leurs offres aux fournisseurs est inutile : de grandes différences dans les méthodes de calculs pourraient biaiser les résultats, et très peu d’entreprises auraient de toutes façons la capacité de le faire. Le niveau de maturité des chaines d’approvisionnement est en effet encore assez bas en la matière : ce sont surtout des grands groupes qui seront en mesure de faire de tels calculs. A l’inverse, les plus petites entreprises risqueraient d’être écartées.

Nous sommes donc convaincus que les entreprises donneuses d’ordre doivent se doter d’outils de simulation des émissions.

En fonction des données collectées chez les fournisseurs (composition matière, origine géographique, mode de transport et consommation d’énergie, etc.), de tels outils simulent l’impact GES de chaque offre.  Ainsi outillés, les acheteurs sont aidés dans leur décision, et peuvent aussi mettre en place des plans d’actions.

En fonction des résultats, l’acheteur peut challenger le fournisseur sélectionné sur l’impact de son offre et travailler avec lui sur des solutions plus écoconçues. Un tel outil représente aussi une opportunité pour expliquer les choix en interne et pour identifier les achats les plus impactant, parfois mal identifiés dans les stratégies bas carbone des entreprises donneuses d’ordre.

Engager les fournisseurs pour assurer des trajectoires basses émissions

La complexité de la réduction des émissions de GES générées par les achats doit obliger les acheteurs à revoir leurs pratiques achats et à créer un mode de collaboration basé sur la confiance et non sur la méfiance avec leurs fournisseurs.

Il s’agit de sortir de relations descendantes où les donneurs d’ordres imposeraient à leurs fournisseurs une réduction de X% d’émissions de GES, pour entrer dans une relation d’amélioration continue et de partenariat, en adaptant les exigences au contexte.  

Ces exigences, qu’il est préférable de fixer en concertation avec les fournisseurs, doivent être suffisamment contraignantes pour les inciter à structurer une démarche robuste et cohérente au regard de l’urgence climatique. Elles doivent aussi être pensées sur une échelle de temps long afin de ne pas les décourager et leur laisser le temps de gagner en maturité. L’approche adéquate consiste donc à challenger les fournisseurs, en les engageant dans un calcul de leurs émissions via un outil de mesure et de suivi, et de les pousser à définir des objectifs de réduction accompagnés d’un plan d’actions.

Le marché fournisseur peut cependant être un frein à ce type de démarche car les fournisseurs n’ont souvent pas les compétences internes nécessaires à la complète compréhension des enjeux, la recherche technologique, l’identification de matières alternatives ou au calcul des émissions de GES. Il est donc incontournable de sensibiliser et de faire monter en compétences ses fournisseurs.

Les acheteurs ont un vrai rôle d’accompagnateur à jouer. Les directions achats ne doivent pas hésiter à embarquer les fournisseurs dans la démarche (lors de moments dédiés, ou de moments fournisseurs déjà existants) et à être très explicites et clairs sur leurs exigences et leurs attentes, en les contextualisant. Les rencontres fournisseurs sont l’occasion d’être à l’écoute et d’identifier les fournisseurs volontaires pour aller encore plus loin : ils peuvent être de vrais alliés dans les trajectoires bas carbone de l’entreprise.

Être dans une logique de collaboration avec ses fournisseurs pour aller chercher une innovation, un nouveau process ou une nouvelle technologie doit aussi faire partie des solutions dans la stratégie bas carbone des achats.

Chez BuyYourWay, nous accompagnons nos clients dans la création de programmes d’innovation sur la baisse des émissions de GES des achats coconstruits avec leurs fournisseurs.

Progresser étape par étape, dans une démarche qui vous est spécifique, pour générer des résultats concrets sur les émissions de GES et aller au-delà de la communication

Une démarche ambitieuse de réduction des émissions de GES, c’est une démarche qui sait identifier les domaines d’achats et les fournisseurs les plus impactant, et définir des engagements fournisseurs les plus pertinents possibles, avec le bon accompagnement

Les acheteurs doivent être impliqués directement, et il est plus que nécessaire de leur donner des moyens humains et des outils pertinents.

La formation des acheteurs est primordiale pour leur donner la possibilité d’accompagner au mieux les fournisseurs. Au-delà d’une montée en compétences, se doter d’indicateurs de réduction des GES par catégorie d’achats et fixer des objectifs qui entrent dans le variable des acheteurs sont, entre autres, deux moyens efficaces d’embarquer les acheteurs. 

[1] Les dirigeants d’entreprises face à la neutralité carbone : au-delà de la volonté, quelle réalité ? étude IFO et Mazars, 2019

Crédit photo : Chris Leboutillier

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